Le blog de Lizzie Crowdagger

Ici, je discute écriture et auto-édition, fanzines et livres numériques, fantasy et fantastique, féminisme et luttes LGBT ; et puis de mes livres aussi quand même pas mal
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Nouvelles › Journal de confinement

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Police des courses — Journal de confinement (avec une vampire), jour 7

, 20:25

Aujourd’hui, je suis retournée faire quelques courses. Ouais, désolée, j’y vais trop souvent, mais le voisin a décidé de se remettre à la guitare sèche alors c’était ça ou avoir un contact physique, fortement rapproché et de grosse intensité.

Au supermarché, on nous laissait rentrer au compte-gouttes. Résultat, il a fallu faire la queue pendant près d’une heure. Je ne me plains pas, notez, quitte à faire une sortie du jour, ça m’a permis de profité un peu du soleil en fumant des clopes. D’habitude, je n’assume pas trop de fumer des clopes en faisant la queue, même dehors, rapport aux gens qui supportent pas la fumée, mais avec les nouvelles normes de distanciation sociale on peut le faire, alors c’est cool.

Après, j’ai fait les courses, rien de transcendant à raconter. Passée à la caisse. Le caissier était censé être protégé par du cellophane étendu à l’arrache. Je suis restée sceptique devant l’efficacité de la chose, mais bon, être sceptique, ça désinfecte, je suppose, donc c’est toujours ça de pris. Au moins, il disait à la cliente précédente qu’il avait reçu un masque aujourd’hui. Je ne sais pas pourquoi il tient à en avoir un, vu que le gouvernement nous répète que ça ne sert à rien si on est pas médecin.

Bref, j’ai pris mes courses et je me suis dirigée vers ma moto pour rentrer. Alors que je passais le coin du supermarché, oh oh, problème, il y avait des flics qui vérifiaient les attestations. J’avais mon attestation, hein, notez, je suis une fille sérieuse. Mais j’ai jeté un coup d’œil à mon cabas, et je me suis dit que la police des courses n’allait pas apprécier d’y voir un pack de Coca et deux paquets de chips.

Merde, merde, merde.

J’ai repensé à la vidéo que j’avais vue sur Internet de la nana qui se faisait admonester parce qu’elle avait le même genre de courses que moi. Est-ce qu’elle avait fini par se bouffer une amende de 135 € pour ça ? Je ne savais plus, mais j’étais sure de n’avoir aucune envie de m’en prendre une.

Heureusement, pour l’instant, les policiers me tournaient le dos. Je suis donc passée en faisant le moins de bruit possible et je me suis planquée en m’agenouillant derrière une voiture. J’ai pu, comme ça, passer à côté d’eux en passant furtivement de voiture en voiture, mais j’ai rapidement arrêté de pouvoir avancer comme cela.

Les trois flics en uniforme étaient placés juste à côté de ma moto.

Que faire ? J’ai réfléchi rapidement, et j’en ai conclu à la solution logique que j’avais déjà pratiquée un certain nombre de fois. J’ai repéré un gros caillou et je l’ai saisi dans ma main. Le plan était simple : le lancer suffisamment loin mais pas trop pour que ça fasse du bruit et qu’ils aillent examiner le coin, me laissant monter sur ma bécane et décarrer d’ici.

Ça a bien marché. Trop bien, même. La caillasse a atterri sur le pare-brise d’une bagnole, le fracassant à moitié et déclenchant l’alarme. Oups. Au moins, ça a marché. Les policiers se sont tournés vers l’origine du bruit, et deux d’entre eux se sont dirigés vers la voiture pour voir ce qu’il se passait.

Malheureusement, le troisième était moins discipliné et était en train de s’allumer une cigarette, l’air vaguement amusé de la scène, et toujours à deux pas de ma moto. Damn it. Il allait falloir passer à l’étape supérieure.

Je me suis approché à pas de loup derrière le policier fumeur, tandis que ses collègues arrivaient près de la voiture.

— Hein ? a-t-il fait alors que j’arrivais derrière lui.

C’était trop tard. J’avais placé mon bras droit de façon à serrer son cou avec mon coude (dans lequel j’avais toussé, vraiment désolée), et je tirais sur mon bras droit avec mon gauche, de façon à accentuer la pression.

— Ne résiste pas, ai-je dit d’une voix douce alors qu’il s’affaissait.

Alors qu’il gisait par terre et que ses collègues examinaient la voiture dont l’alarme sonnait, j’ai démarré ma moto sans prendre le temps de mettre les courses dans la sacoche, me contentant de garder le cabas à mon coude. Ensuite, j’ai démarré et fui aussi vite que je pouvais.

Ouf. Misison accomplie.

***

Quelques minutes plus tard, je m’installais sur le canapé à côté de Rouge, un verre de Coca à la main et des chips sur la table basse.

— Ça s’est bien passé, les courses ? a-t-elle demandé.

— Un peu de queue, mais rien à signaler.

Journal de confinement (avec une vampire) — Sixième jour

, 13:38

Wesh journal. Quelques petites nouvelles du jour, pour la postérité.

La situation interne de notre couple s’est stabilisée. Animal Crossing a vraiment fait du bien à Rouge, et on est repassées sur une situation comme ça devrait l’être, d’entraide et de soutien mutuel plutôt que d’énervement réciproque.

On s’est même fait un peu des câlins hier soir. J’ai quand même porté un masque et des gants, au cas où. D’accord, ce n’était pas pour réduire le risque de contamination au sein de notre couple, mais plutôt le signe que cette pandémie a au moins eu le mérite de réveiller quelques fétiches.

Sinon, on pourrait croire que tout va bien, mais un nouveau problème a surgi. Les putains de piafs. Sérieusement, je n’en peux plus. On n’entend qu’eux. Piou piou piou et gnagnagna. L’angoisse.

Et le pire, c’est que sur les réseaux sociaux, tous les connards de hippies sont en mode « c’est fabuleux, on entend les petits zozios et plus de bruits de moteurs ». Allez mourir, je veux pouvoir réentendre la douce symphonie de moteurs à grosse cylindrée qui se tirent la bourre dans les rues. En plus, les rues sont vides, ce serait le bon moment pour se tirer la bourre sans mettre personne en danger.

Et je ne parle même pas des connards malthusianistes à tendance eugéniste qui trouvent que cette pandémie est géniale parce que la nature reprend ces droits et tant pis si quelques centaines de milliers de « faibles » meurent dans le processus. Purée, même moi qui suis misanthrope j’arrive à ne pas être autant une trouduc, canalisez-vous.

Quand on pourra ressortir, il y aura des coups de tondeuse à passer, mais pour l’instant, je ronge mon frein. En attendant, j’essaie au moins de prévoir une stratégie pour les piafs. Je me disais que je pourrais leur tirer dessus au pistolet à billes, mais je n’ai pas de pistolet à billes, juste du 9mm qui parait tout de même un peu excessif. Aux prochaines courses, je prendrai peut-être du gros sel pour faire des munitions custom mais raisonnablement non létales pour les faire dégager.

Mais je devrais peut-être garder ma poudre pour les cas plus dangereux. Comme on nous le répète, ce n’est que le début, et la situation va s’aggraver. J’ai déjà vu des images de canards qui se promenaient dans Paris, j’espère qu’ils ne vont pas s’approcher de chez nous. Je peux pas blairer les canards, c’est vraiment des saloperies.

Journal de confinement (avec une vampire) — Cinquième jour

, 12:20

Bonjour cher journal. Je ne sais pas comment je dois m’adresser à toi, ça fait ridicule, non, de dire « bonjour cher journal » ? Bref.

À la maison, la situation s’est améliorée depuis hier et la sortie d’Animal Crossing. Rouge arrive à ne plus faire les quatre cents pas dans l’appartement et est partie explorer son île. Elle me bassine avec les pommes et sa canne à pêche, mais c’est plus habituel et tout à fait supportable. Moi, je suis allée buter des démons à Doom Eternal pour passer un peu le temps.

J’ai même tenté de faire comme les jeunes et de streamer un peu. Je ne sais pas comment on mate le chat en jouant et comment on fait pour voir combien de gens nous regardent jouer, mais il devait y en avoir un certain nombre, parce qu’hier soir, à ma grande surprise, quand j’ai fait un glory kill stylé sur un baron de l’Enfer tous les voisins se sont mis à applaudir. Pour un début je suppose que ce n’est pas trop mal.

Sinon, je suis allée faire quelques petites courses ce matin, enfin à onze heures, il ne faut pas déconner. J’ai été très surprise de voir les regards que les gens continuent à porter à mon masque et à mes gants. Ça me parait pourtant la base pour éviter les contaminations, non ?

D’accord, c’est peut être aussi parce que j’avais ressorti mon masque avec une tête de mort sur le bas de visage et mes gants coqués, mais bon, il faut bien que je fasse prendre un peu l’air à mon attirail de manif, parce que c’est mal parti pour qu’il y en ait une autre avant un moment.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. Je vais retourner buter des démons, ce n’est pas comme si j’avais grand chose d’autre à faire.

Journal de confinement (avec une vampire) — Troisième jour

, 00:18

Salut tout le monde, ou les gens qui liront ça un jour. Je m’appelle Bull, et ceci est le témoignage poignant que je veux offrir aux générations futures sur la situation que nous vivons en ce moment. Bon, d’accord, c’est surtout que je m’ennuie à mourir.

Aujourd’hui, c’est le troisième jour que nous sommes confinées, et je commence à me demander si je vais survivre à cette épidémie. Oh, je ne pense pas mourir de la maladie. D’accord, j’ai quelques critères de risques : fumer, obésité, hypertension. Mais c’est surtout que j’ai peur de finir par me défenestrer.

Il y a trois jours, après les annonces de notre président, j’ai eu un échange téléphonique avec ma daronne. Elle m’a proposé de prendre ma moto, quitter Lille, et aller la rejoindre à la campagne. J’ai refusé, évidemment. Trop bonne, trop conne. Pas envie de la mettre en danger. Pas envie de faire comme ces parigots tête de veau partis dans leur résidence secondaire.

Résultat, je vis maintenant cloitrée avec Rouge. Rouge, c’est ma meuf, et c’est aussi une vampire, ce qui pourrait laisser supposer qu’elle n’est pas obligée de rester confinée. Mais elle reste quand même dans l’appartement, à faire des allers-retours dans le salon pendant que j’essaie désespérément de faire autre chose. On a fini par un peu s’engueuler.

— Bordel, lui ai-je dit, tu ne veux pas t’arrêter ?

— Non, il faut faire un peu d’activité physique.

J’ai tenté de lui expliquer que, moi, oui, je devrais faire de l’activité physique, mon médecin n’arrête pas de me le répéter. Ce coup-ci, au moins, j’aurais une bonne excuse pour ne pas être sortie faire du vélo. Mais ça, c’est parce que je suis une humaine, et par ailleurs avec de certains problèmes de poids. Les vampires, eux, peuvent rester à faire la sieste pendant des putains de siècles et se réveiller frais et dispos, sans la moindre perte de masse musculaire. Enfin, quelque chose comme c’est.

— D’accord, a admis Rouge. C’est pour me calmer les nerfs.

— Tu ne calmes pas les miens !

— Désolée, a-t-elle dit.

Ensuite, elle s’est assise cinq minutes en pianotant sur son ordinateur portable. Après quoi, elle s’est relevée et s’est mise à faire des allers-retours.

— Nom de Dieu ! ai-je râlé. Tu ne veux pas aller marcher dehors ?

— On est en confinement.

— Tu es une putain de vampire ! Tu crois quoi, que tu vas tomber malade ?

Elle a haussé les épaules.

— On ne connait rien de ce virus. Et puis, les vampires peuvent parfois être porteurs sains. Ils ont été un grand vecteur de contagion pendant la peste noire.

— N’importe quoi, c’est des trucs de complotistes ! Ça a été débunké un milliard de fois, ces conneries.

J’avais appris ça au début de notre relation. Je voulais être sure de ne pas faire de conneries avec mon amante et je m’étais renseignée un peu sur les vampires. J’avais fini par regarder beaucoup trop de vidéos sur le sujet, notamment celles de vulgarisateurs qui pouvaient montrer qu’ils avaient un gros cerveau en montrant à quel point la théorie pondue par un survivaliste lunatique fréquentant 4chan était infondée. Ce qui, je suppose, était mieux que de ne regarder que les vidéos de survivalistes lunatiques fréquentant 4chan comme ma copine.

— Dans tous les cas, a-t-elle dit, il vaut mieux appliquer le principe de précaution. Je ne veux pas prendre le risque de propager la maladie.

— Tu ne la propages pas non plus si tu restes immobile, ai-je répliqué.

Elle a entendu le message, et est retournée sur son ordinateur portable. Cette fois-ci, elle a tenu un bon quart d’heure avant de se relever et de se remettre à faire les quatre cents pas dans le salon. Je ne sais pas cette fille angoisse tellement. Si j’étais une vampire, je ne me soucierais pas d’une épidémie qui touche les pathétiques mortels.

Mais, pour l’heure, je ne suis qu’une pathétique mortelle qui se dit que, si ce confinement dure, elle risque de péter une durite.