Ici, je discute écriture et auto-édition, fanzines et livres numériques, fantasy et fantastique, féminisme et luttes LGBT ; et puis de mes livres aussi quand même pas mal
Je ne savais pas trop par où commencer ce billet, parce qu’il y avait des choses assez difficiles pour moi à dire (et que, à la base, je n’avais pas spécialement prévu de dire comme ça) parce que, et ça pourra sembler paradoxal au vu des romans que j’ai écrits, ça fait écho à des choses personnelles dont j’ai du mal à parler.
Aussi, soyons honnête : même si je n’écrivais pas ce billet dans une volonté de callout ni de régler des comptes (ni de faire une psychanalyse, mais ça a fini comme ça, oups), mais bien d’ouvrir une discussion, il n’en reste pas moins que ce que je vais faire va à l’encontre du conseil sacro-saint donné aux écrivains qui communiquent : ne pas critiquer les gens qui critiquent tes bouquins. Et non seulement j’ai peur que ça soit pris comme ça, mais comme une critique envers les critiques les plus positives sur mes bouquins.
Pour éviter que ce soit interprêté comme cela, et montrer que l’optique de ce billet est la gentillesse plutôt que la confrontation, j’ai décidé d’ajouter une photo de Chachat, que voici :
Chachat, en train de dormir la tête sur mon bras (bras recouvert d’un pull extrêmement épais)
Autant dire qu’en commençant l’écriture de ce billet, je n’étais pas certaine d’aller jusqu’au bout parce que, non seulement, je ne savais pas trop où j’allais, mais j’avais l’impression de m’apprêter à me tirer une balle dans le pied. Même maintenant, en relisant, je ne suis pas sûre d’oser le publier ; et en même temps, d’une part, ça m’a permis, à moi de mettre le doigt sur des choses — je vous préviens que ça peut ressembler à ma psychothérapie ; et, d’autre part, je pense qu’il y a quand même des choses qui méritent d’être abordées.
Donc je prends mon courage à deux mais, et j’y vais.
Le point de départ
Le principe de la littérature Ownvoices, terme anglais qui veut dire sommairement « propres voix », c’est que c’est des livres avec des personnages faisant partie de groupes minorisés qui sont écrit par des auteurs faisant partie de ces minorités. Ça faisait un moment que j’avais envie de mettre le doigt sur ce qui pouvait parfois me gêner quand on appliquait ça aux livres LGBT, et ce récent thread Twitter d’Alex Harrow (en anglais) m’a en partie aidée à le faire.
Mon rapport personnel au « sigle » LGBT
Il y a un truc que j’assume dans le sigle (ou regroupement, ou parapluie ou peu importe) LGBT, c’est d’être lesbienne. Je veux dire, c’est ce que je mets en avant, c’est ce que j’ai envie de mettre en avant, ça fait partie de mon, de mon, identité.
Et, aussi, il se trouve que, techniquement, je suis trans. Je n’aime pas en parler. Je n’aime pas spécialement quand ça se sait. Et, oui, je dis ça en ayant écrit quelques bouquinsavec despersonnages trans, parce qu’heureusement tous mes personnages n’ont pas tous mes complexes, mes craintes, mon rapport au monde, etc. Ce qui est assez normal puisque ce sont des personnages. On sépare les personnages des auteurs, non ? Je ne suis pas aussi sociopathe que Morgue, moins impulsive que Lev, moins portée sur le sexe que Jessica, moins fan de foot que Razor, et les gens ne s’attendent pas à ce que je le sois. Naïvement, j’aimerais bien qu’on ne cherche pas à savoir si je suis aussi trans que Cassandra, Alys ou Elvira. Mais le fait est, on m’assigne à ça que je le veuille ou non, et je dois admettre l’être, disons, autant que Cameron (qui sera dans la saison 2 de La chair & le sang, et dont voici un petit passage en avant-première) :
— Il y a quelque chose qu’il faudrait que je te dise avant.
J’étais un peu habituée à ce qu’on me dise ça. Pas mal de nanas vampires pensaient que je n’étais pas capable de voir qu’elles étaient des vampires et voulaient me prévenir de leur mordant. Ce qui, évidemment, n’était pas nécessaire, parce qu’en tant que demi-démone, je suis tout à fait capable de détecter les vampires, loups-garous et autres créatures surnaturelles. Mais comme je ne suis pas vraiment sur le full-disclosure avec mes partenaires sexuelles, j’évite en général de le dire.
Cela dit, la situation était un peu différente. Je voyais bien que Cameron n’était pas une vampire. Pour une fois, son petit secret allait peut-être être une vraie surprise.
— Il faut que tu ne le dises à personne, a-t-elle ajouté.
— D’accord, ai-je dit.
Elle m’a jetée un regard grave.
— Si tu le dis, a-t-elle prévenu, je te tuerai.
J’ai ouvert la bouche, un peu surprise. Pourquoi est-ce que je n’avais jamais pensé à ça ? Il y a plein de personnes à qui je n’osais pas dire que j’étais une demi-démone, parce que ça devait rester secret et qu’on ne pouvait pas toujours faire confiance aux gens pour garder un secret.
— Je suis trans, a dit Cameron.
— Ah, ai-je dit en tentant de masquer mon dépit.
Je n’ai rien contre les personnes trans, notez. Seulement, vu le buildup, je m’attendais à quelque chose d’un peu plus extraordinaire.
Évidemment, c’est de la fiction, et même si mes personnages sont assez barrés, il n’est pas certain que Cameron mettrait ses menaces à exécution. Je ne vais matériellement pas vous tuer si vous dites que je suis trans après avoir lu ce billet. Ce qui est plutôt bien, parce que ça aurait voulu dire que j’aurais dû massacrer un certain nombre de personnes que j’aime bien et que, dans la vie réelle, régler les choses comme ça est rarement une solution satisfaisante.
Mais quand même, c’est là que j’en reviens avec mon problème avec la notion de Ownvoices quand on parle de questions LGBT. Ça implique de savoir que la personne est « concernée ». Et parfois c’est juste dire qu’elle est concernée par le spectre LGBTQIA++, le parapluie queer, ce qui laisse une marge de manœuvre correcte. Et parfois non, parce qu’on va présenter des œuvres qui parlent explicitement de thématiques trans, et mettre en avant des livres écrits par des personnes trans.
Et du coup, régulièrement, j’ai ce coup dans le ventre paradoxal : il y a quelqu’un que j’apprécie souvent (parce qu’on se suit souvent sur les réseaux à défaut de toujours se connaître en vrai), qui a non seulement apprécié mon livre mais en fait la promo, ce qui en temps qu’écrivaine auto-éditée est un peu les moments de joie que tu recherches, parce que ça n’arrive pas si souvent qu’on parle de tes livres. Et, en même temps, cette personne vient de m’outer. Cette personne vient de poser à ma place les mots sur mon statut, les mots que je n’arrive pas à mettre moi-même lorsque je parle de moi, et je me sens pas bien, assignée malgré moi, dépossédée et confrontée à mes problèmes que je pensais avoir mis sous le tapis.
Dilemme existentiel et dualité
Et en même temps, je ne me sens pas légitime à râler. C’est moi qui l’ai cherché, quelque part. J’ai écrit un bouquin qui s’appelle Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires), qui pour le meilleur ou le (vam)pire, parle aussi à des gens, résonne aussi avec leur vécu et, quelque part, il y a une sorte de dualité entre la Lizzie Crowdagger trans fière et assumée que ces personnes peuvent s’imaginer, et ont peut être besoin de s’imaginer en lisant le bouquin, et la personne, juste moi, débarassée de ses artifices fictionnels, qui a juste l’impression d’être merdique, sans dagues ni plumes noires.
Et le pseudonyme, Crowdagger, est sans doute le point culminant de ce paradoxe : même si pas grand monde ne le sait en France, c’est une référence à un terme qui avait été inventé, puis rapidement oublié, pour désigner et visibiliser les meufs trans butches.
Bref, à ce stade, j’espère que vous aurez compris que je n’écris pas ça pour régler des comptes, pour que les personnes qui m’ont visibilisée comme trans pour parler de mes livres se sentent mal (ou pour que vous alliez les embêter !). Il y a clairement un truc très personnel que je n’arrive pas à régler.
Ne plus être Crowdagger ?
Mais c’est un vrai problème. Plusieurs fois, j’ai hésité à me débarasser de ce pseudo, à partir sur autre chose. Dans la saison 1 de La chair & le sang, j’ai volontairement décidé de ne pas mettre le moindre début de personnage trans (même si je me suis quand même permise un quiproquo douteux à un moment) en me disant, que peut-être, je pourrais arrêter de trop mettre en avant des personnages trans par la suite et qu’on oublierait un peu mes anciens textes.
J’ai aussi pensé aller plus loin, arrêter d’écrire des fictions centrées sur les thématiques LGBT (ok, plutôt le versant lesbiennes et meufs trans, mais il y a quelques cautions masculines de temps en temps), en me disant que ce serait plus facile.
Et soyons très claire : ça ne fait pas écho qu’à l’écriture de fictions, évidemment. C’est mon rapport à la vie, au fait d’être encore mégenrée parfois, que des gens à qui je n’avais jamais dit que j’étais trans parlent soudainement de ma transidentité dans une réunion politique, des agressions dans la rue, qui en vrai ont, heureusement, énormément diminué depuis pas mal d’années, ce qui explique peut-être que j’écrive des choses un peu moins « énervées » qu’à l’époque d’Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires).
Mais voilà, c’est aussi pour ça que j’ai autant de mal à écrire ces derniers temps, que depuis la saison 1 de La Chair & le sang je n’ai publié que des choses que j’avais dans les tiroirs, que la saison 2 prend autant de retard. Parce que, fondamentalement, je n’étais pas sûre d’avoir envie de continuer. Je n’avais pas sûre de vouloir encore être Lizzie Crowdagger.
Et puis, soyons honnête, comment je peux prétendre écrire des bouquins positifs ou quoi alors que je suis cette meuf qui a peur qu’on capte ce qu’elle est, qui veut rester cachée, et qui à chaque fois le vit super mal et a juste envie de se foutre en l’air ?
Et puis voilà, après avoir été au fond du trou de la dépression, être passée par les phases « je serais toujours un monstre », je me suis dit qu’écrire ce billet me permettrait peut-être de poser les mots sur ce malaise.
Je suis crowdagger
Et je pense que, petit à petit, douloureusement, avec des périodes d’avancées et de recul, j’en suis aussi venue à une période d’acceptation. Je ne serais sans doute jamais percue comme une meuf cis, et, c’est peut-être le plus triste et le plus dur à accepter, j’ai même laissé tomber l’idée d’essayer de convaincre l’essentiel de mes camarades, même les plus inclusif·ve·s, d’arrêter de cloisonner entre « meufs cis » et «meufs trans ». J’ai accepté que je n’avais pas envie de payer les coûts que ça engendrerait de vouloir « passer à 100% » ou je ne sais quoi que ce soit en faisant de la chirurgie dont je n’ai pas envie, en retravaillant ma voix ou ce genre de choses.
Tant pis. Peut-être que je continuerais à être vue comme un monstre. Pas forcément comme un monstre à éliminer à coups de caillasse, parfois plus, dans les cercles où je traîne, comme un monstre un peu cool et subversif.
Je crois que j’en suis au stade où il faut que j’accepte de vivre avec ça. Et peut-être chercher, moi-même, de la force dans mes propres bouquins et chez mes propres personnages. Parce que, pour paraphraser Despentes, j’écris de chez les monstres, pour les monstres, et il est peut être trop tard pour en changer.
Mais je me dis, je peux au moins essayer de poser mes mots à moi. Et je me rends compte, je n’arrive pas à me dire trans. Je n’ai pas envie de me dire trans. Y’a sans doute des raisons de transphobie intériorisée ou de misogynie intériorisée ou je sais pas quoi, et y’a sans doute d’autres raisons qui font que j’ai du mal, parfois à me retrouver dans ce terme, cette « communauté » ou je ne sais quoi. Il y a des rapports personnels et politiques aussi ; mais j’ai déjà assez parlé de mes tergiversations psychologiques et pour des discussions politiques internes à un groupe, un billet pour tout public qui partait au départ sur l’écriture n’est peut-être pas l’idéal.
Toujours est-il que j’ai déjà mon mot à moi, et depuis un moment. C’est crowdagger. Et ça, j’en reste assez fière. Et peut-être qu’il est temps que les gens qui connaissent mon pseudo savent ce qu’il veut dire. Oui, ça veut dire que je fais techniquement partie de la catégorie « meufs trans » mais aussi de la catégorie « butches », et bref, des crowdaggers.
Alors, ouais, peut-être que j’aurais pas dû prendre ce pseudo, en fait, parce que, même sans être très connue, le nom d’origine l’est encore tellement moins que, en France en tout cas, « crowdagger » est sans doute plus connu comme mon pseudonyme que comme le terme obscur communautaire qu’il désignait à la base.
La conclusion de tout ça
Bref, tout ça pour dire quoi ?
Déjà, à titre tout à fait égoïste, j’espère que ce billet m’aura permis de me décoincer un peu, de sortir du trou et d’assumer que ouais, je suis queer, j’écris des trucs queers et que je suis un peu vieille pour devenir normale. je ne sais pas si ça me débloquera vraiment pour l’écriture, mais on peut toujours croiser les doigts.
Ensuite, ben voilà, je suis une crowdagger et pas juste Lizzie Crowdagger, même si ce choix de pseudonyme va être vraiment pénible pour rendre ce genre de phrases clair. Je l’assume, et y compris que ça veut dire que, techniquement, je suis trans, même si je n’ai pas envie d’utiliser ce terme.
Pour finir, et pour revenir au point qui a ouvert tout ça, par rapport aux Ownvoices quand on parle de thématiques LGBT : je peux comprendre qu’on ait parfois besoin de dire à une personne « ça c’est un livre écrit par une personne trans/intersexe/lesbienne ». Mais si vous faites ça en public, s’il vous plaît, essayez quand même de pas outer ou réassigner les auteurs et les autrices. S’il y a un doute, dites juste qu’il y a un personnage trans, ou intersexe, ou non-binaire, ou lesbienne, ou séropo, qui est bien écrit, sans préciser si c’est forcément parce que l’auteur ou l’autrice est « concerné·e ».
En ce qui me concerne, si vous voulez absolument utilisez un terme auquel m’assigner (et, vraiment, ne vous sentez pas obligé·e de le faire, j’aimerais vraiment pouvoir arriver à un stade où on peut dire du bien de mes bouquins juste en parlant de mes bouquins et pas de ma vie), utilisez crowdagger. S’il est trop compliqué à expliquer, vous pouvez juste ne rien dire, mais voilà, c’est ça mon identité.
Ajout du 26 juin
Ce billet a connu un certain nombre de partages, et j’ai reçu énormément de réactions positives ❤️❤️❤️, et des retours avec des personnes qui se posaient plus ou moins les mêmes questions, ou qui avaient du mal à écrire sur les sujets qui les touchaient trop par crainte de ce genre de choses, etc.
Je pense que le fond du problème, ça reste qu’être auteur ou autrice, blogueu·r·se, youtubeu·r·se, etc. dans ce genre de domaine (Ownvoices au sens large on va dire, là c’est centré sur les thématiques LGBT mais c’est des choses qu’on peut plus ou moins retrouver ailleurs) c’est quand même une situation inconfortable, où on est toujours tiraillé·e·s entre plein de choses, et c’est d’autant plus rageant de voir que, pendant ce temps, le milieu littéraire dominant reste occupé à pleurnicher parce que tel auteur blanc a écrit un livre sur l’esclavage qui ne sera pas traduit, parce que telle autrice cis de best-sellers n’a pas pu tenir des propos transphobes sans qu’on lui réponde, ou encore parce que Autant en emporte le vent est censuré par quelques minutes de mise en contexte.
Bref, force et ❤️ et merci pour les retours gentils
Pour faire vivre un peu ce blog sur lequel il n’y a plus eu beaucoup d’articles ces derniers temps, et pour me donner un prétexte pour revenir avec un peu de recul sur des écrits passés, j’ai décidé de faire cette petite série de portraits de personnages, en commençant avec l’héroïne de Pas tout à fait des hommes.
J’ai le plaisir de vous annoncer que je serai ce samedi 24 juin à la librairie La Plume Noire à Lyon à partir de 16h, pour présenter quelques-uns de mes livres mais aussi discuter autour de la représentation des personnages LGBT dans la fiction. Plus d’information ici, ou copié/collé ci-dessous.
Le samedi 24 juin à 16h, la libraire La Plume Noire accueillera Lizzie Crowdagger pour une rencontre/discussion au cours de laquelle elle présentera quelques-uns de ses romans :
Enfants de Mars et de Vénus, polar fantastique avec des lesbiennes, de la sorcellerie, des motos et des camions ;
Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires), qui comme son titre l’indique parle de transidentité et de vampirisme, mais aussi de ballistique et de pyrotechnie.
Ce sera aussi l’occasion de discuter plus largement de la représentation des thématiques LGBT (et plus particulièrement des lesbiennes et femmes trans) dans la fiction.
En effet, les œuvres de fiction les plus populaires, lues et surtout vues par le plus de personnes, font rarement de place à ces personnages, l’histoire étant généralement centrée autour d’hommes hétérosexuels cisgenres. Lorsque des œuvres traitent principalement de thématiques LGBT (lesbiennes, gays, bis, trans), c’est souvent d’une manière pédagogique ou « éducative », parfois de manière très larmoyante, et pas toujours très powerful pour les personnes LGBT, puisque l’objectif reste souvent de permettre aux personnes hétérosexuelles cisgenres de s’« éduquer » et d’« apprendre des choses », et que peu d’œuvres osent s’adresser directement aux personnes LGBT, et prendre le risque de ne pas être suffisamment « vendeur » pour le plus grand nombre.
Comment, lorsqu’on est lesbienne gay, bi ou trans, peut-on espérer trouver des œuvres de fiction qui puissent permettre de se construire et de se sentir plus fort·e, ou simplement de passer un moment de détente pour oublier un peu les violences, agressions et discriminations quotidiennes ?
Le samedi 24 juin à 16h à La Plume Noire
8 rue Diderot, Lyon 1er (Métro Croix-Rousse/Croix-Paquet)
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Pour être tenu·e au courant de mes dernières parutions, vous pouvez vous inscrire à ma liste de diffusion (faible trafic, pas plus d’un message par mois) :
Je serai à Paris le 15 février à la librairie Violette and Co, à l’occasion du festival des Cultures LGBT, pour discuter autour d‘Enfants de Mars et de Vénus. En plus de présenter le livre, je parlerai (sans doute) de la représentation des lesbiennes et femmes trans dans la fiction, les clichés, comment jouer avec, etc.
Ce sera à 19h, à la librairie Violette and Co, 102, rue de Charonne, Métro Charonne (9) ou Faidherbe-Chaligny (8).
Enfants de Mars et de Vénus
Enfants de Mars et de Vénus est un polar fantastique, édité par Dans nos histoires, qui sortira officiellement le 23 février prochain. Il s’agit donc d’une avant-première exclusive !
« Sauf qu’on n’est pas un couple, a tranché Alys.
— Vraiment ? ai-je demandé, un peu surprise.
— Lev, je t’aime bien, mais pour l’instant on a à peine couché deux fois ensemble et, pour ce que j’en sais, tu couches avec toutes les filles trans que tu rencontres. »
J’ai levé ma main en signe de protestation.
« Ce sarcasme est complètement infondé. Et puis, qu’est-ce que tu fais des lacrymos, des machos, des bastons avec les skins, des interrogatoires musclés et tout ça ? Ça ne compte pas, pour toi ?
— Si, mais ça correspond plus à la description d’un gang que d’un couple. »
J’ai haussé les épaules.
« D’accord, ai-je concédé. Être en gang, ça me va aussi. »
La librairie Violette and Co
« Violette and Co, c’est une librairie de 80 m2 consacrée aux textes et aux images qui mettent en valeur les femmes et les homosexualités sous toutes leurs formes.
Romans, essais, beaux livres, polars, BD, revues… sont rassemblés dans un espace unique où se rencontrent les féminismes, les réalités — et les imaginaires — lesbiens, gais et trans, et toutes les questions de genre.
C’est un lieu lumineux, chaleureux et animé qui invite toutes celles et tous ceux qui aiment les littératures hors des sentiers battus et qui s’interrogent sur nos sociétés. Nous y proposons des ouvrages attachants, rebelles, sensuels, attirants…, des références essentielles, des nouveautés incontournables et, pourquoi pas, des classiques de demain.
Violette and Co c’est aussi un rayon jeunesse qui propose une sélection pleine d’humour et de réflexion, des CD et des DVD, des cadeaux à (s’)offrir. Et parce que si les livres se lisent en solitaire, ils se vivent aussi à plusieurs, la mezzanine est dédiée à l’accueil de rencontres littéraires, de lectures, de débats et d’expositions.
Violette and Co, la librairie des filles et des garçons manqués… et de leurs ami-e-s ! »
« Le Centre LGBT Paris Île-de-France est un acteur incontournable depuis plus de 20 ans de la vie LGBT parisienne et francilienne, dans tous ses aspects. Par ses actions au service des personnes LGBT et de leurs alliés/es ainsi que de leurs droits, et avec les associations qui en sont membres, il participe au développement d’actions dans tous les domaines, et particulièrement dans celui de la culture.
Après le succès de la première édition en 2016, et dans le souhait de renforcer l’offre culturelle accessible à tous et toutes pour promouvoir la visibilité LGBT à Paris et en Île-de-France, le Centre LGBT Paris Île-de-France ouvre à tous les acteurs et toutes les actrices des cultures LGBT sous toutes leurs formes, qu’ils et elles soient des artistes confirmés/es ou amateurs/trices, associatifs/ves ou autres, sans distinction d’orientation sexuelle ou d’identité de genre, la seconde édition du Festival des Cultures LGBT du 27 janvier au 17 février 2017.
Il est extrêmement difficile d'écrire des histoires avec des personnages LGBT. Comme on m'a souvent demandé des conseils sur ce sujet (ce qui est bien normal), j'ai décidé de vous livrer neuf règles à suivre afin de produire une œuvre inclusive.
Remarque : ces conseils ont été rédigés pour des personnages LGBT, mais la plupart sont également valides pour écrire des personnages d'autres groupes inhabituels. N'hésitez pas à les adapter aux questions de sexisme, racisme, handicap, classe, âge, etc., pour avoir une œuvre encore plus inclusive !
1) Détaillez les personnages LGBT que vous incluez
À des fins d'inclusivité, il est vital que vous listiez rigoureusement dans tout résumé du livre tous les personnages LGBT que vous incluez, ainsi que leur « catégorie » spécifique. C'est très important pour deux raisons :
Imaginez qu'un lecteur ouvre votre livre et ne soit pas au courant, commence à s'identifier au personnage, puis réalise qu'il est gay. Ou, pire, qu'il fantasme sur une de vos héroïnes, tout ça pour réaliser à la moitié du roman qu'elle est transsexuelle ! Vous voulez éviter ce genre de désagrément, qui peut pousser un lecteur à refermer un livre et à faire des commentaires négatifs, et qui est une approche qui manque clairement de pédagogie.
De leur côté, les personnes LGBT ne s'intéressent pas vraiment à l'histoire et veulent juste qu'il y ait quelqu'un de leur groupe qui soit représenté. Savoir s'il s'agit de fantasy épique, de science-fiction policière, ou de romance historique est accessoire, ce qui compte est de lister précisément les identités représentées. Ne dites pas ce roman inclut des personnages LGBT, détaillez au maximum : ce roman inclut deux lesbiennes, un homme trans et un bisexuel. Ou, mieux : ce roman inclut deux lesbiennes, une végétarienne féminine et une sadomasochiste androgyne, un homme trans asiatique et un bisexuel qui a des traits autistiques.
2) Documentez-vous
Les personnes LGBT sont compliquées. Pour inclure des personnages LGBT dans votre histoire, il est donc nécessaire de bien vous renseigner. Vous pouvez faire cela en allant poser des questions aux personnes LGBT que vous connaissez, elles adorent toujours répondre à des questions. Le mieux, cependant, est de repérer un·e écrivaine LGBT pour lui demander comment faire pour écrire votre histoire. Attention : même s'il ou elle est écrivain·e, il ou elle est avant tout LGBT et donc (cf point 1) ne s'intéresse pas à l'histoire, mais aux détails identitaires des personnages que vous souhaitez inclure. Surtout, faites-lui bien comprendre que vous le/la contactez uniquement parce que vous savez qu'il/elle est LGBT : les écrivain·e·s LGBT restent avant tout des homos et/ou des trans, et n'aiment pas beaucoup qu'on les considère comme quelque chose d'autre.
3) Partagez doctement tout ce que vous avez appris
Ce serait purement du gâchis s'il y avait des éléments que vous aviez appris qui n'apparaissaient pas dans votre roman. Par ailleurs, ce serait perdre les lecteurs s'il y avait des éléments qui n'étaient pas bien expliqués : imaginez un film ou un livre sur les militaires qui ne détaillerait pas précisément le code gestuel ou les abréviations qu'ils emploient ! Non, il est nécessaire de bien expliquer tous les points qui pourraient ne pas être connus d'un lecteur hétérosexuel ou cisgenre. Par conséquent, pensez à bien détailler tout ce que vous savez dès que vous avez un personnage LGBT. Par exemple, il serait tout à fait malvenu d'avoir un personnage trans sans détailler son traitement hormonal, les chirurgies qu'il ou elle a faites, ou encore les procédures pour les obtenir. Une œuvre qui inclut des personnages LGBT n'a pas à avoir comme objectif premier d'être intéressante, mais pédagogique. Toute information compte, même si, après toutes vos recherches, elle peut paraître triviale : votre lecteur ou lectrice n'est pas aussi éduqué·e que vous. Par exemple, si vous avez un personnage de gay folle, pensez à bien préciser qu'il y a aussi des gays plus masculins. Cela dit, c'est un mauvais exemple, car...
4) Évitez les clichés, c'est-à-dire les personnages LGBT qui font trop communautaires
Il est important de ne pas trop perdre le lecteur en lui montrant des personnages qui révèlent du cliché. Donc, en réalité, évitez les folles, les butches, etc., et préférez des personnages LGBT qui soient un peu plus normaux. Après tout, on n'a pas envie de reproduire des clichés homophobes en faisant croire qu'il existe véritablement une communauté LGBT qui a développé des codes à elle.
5) Ne mettez pas trop de personnages LGBT
Les personnes LGBT évitent consciencieusement de traîner entre elles, ou de discuter entre elles : elle préfèrent, comme tout le monde, la compagnie des hétérosexuels cisgenres. Par conséquent, si vous avez un personnage LGBT, il ne serait pas très réaliste qu'il ou elle ait des ami·e·s LGBT. Les LGBT ne se regroupent jamais entre elles et eux, c'est un cliché homophobe. Bien sûr, cette nécessité de réalisme (on n'a, après tout, jamais vu de groupes entièrement constitués de gays ou de lesbiennes !) peut être légèrement assouplie si vous souhaitez être très inclusi-f-ve, mais pensez à tout de même à mettre un certain nombre de personnages normaux. Ne pas le faire pourrait être très contre-productif : imaginez que vous vous donniez le mal d'écrire un roman où l'intégralité des personnages soient LGBT, et que le lecteur en vienne à considérer cela comme normal et plus exceptionnel : vos efforts d'inclusivité ne seraient pas perçus à leur juste valeur.
6) Ne faites pas commettre d'actes répréhensibles à vos personnages LGBT
Dans une démarche inclusive, il est important que vos personnages LGBT soient présentés sous une lumière positive. Pour cela, évitez de leur faire commettre des actions immorales : ce serait homophobe ou transphobe. Par dessus tout, évitez absolument d'avoir un ou une antagoniste LGBT. Ne vous fiez pas à la popularité des anti-héros ou au fait que pour pas mal d'œuvres, le personnage que les gens préfèrent est le méchant : les règles de jugement moral dans la fiction sont tout à fait les mêmes que dans la réalité, et il est donc nécessaire que vos personnages LGBT se comportent de manière exemplaire pour ne pas véhiculer des clichés homophobes.
(À titre exceptionnel, on peut se permettre qu'un personnage LGBT effectue un acte légèrement immoral (comme employer une insulte problématique), à condition qu'il ou elle fasse amende honorable par la suite. Cela permet de montrer que la déconstruction est un processus permanent.)
7) Si rien n'indique dans l'œuvre qu'un personnage est LGBT, pensez à le préciser en dehors de l'œuvre
Imaginons que vous ayez un personnage LGBT, mais que rien n'indique dans votre œuvre qu'il ou elle est LGBT. C'est évidemment une erreur : vous avez mal appliqué les conseils 1) et 3). Heureusement, tout n'est pas perdu, et vous pouvez encore clamer que votre personnage qu'on ne voit avoir que des relations hétérosexuelles est en réalité pansexuel, ou que votre héros qui a tout d'un homme cis hétéro se pose des questionnements sur sa non-binarité, même si cela n'apparaît dans aucun des textes que vous avez écrits.
Astuce : personne, à part vous, n'étant dans votre tête, vous pouvez aussi décider rétroactivement qu'un personnage était en réalité LGBT, pour transformer une œuvre non-inclusive en œuvre inclusive. Si quelqu'un vous fait remarquer que, tout de même, rien ne laissait présager que le personnage était LGBT, et doute de votre sincérité, répliquez-lui que c'est parce que les homos sont des gens comme les autres et que douter de vous ainsi est profondément homophobe.
8) Il est important que vous expliquiez en quoi vous êtes concerné·e ou pas
À partir du moment où vous mettez en scène des personnages LGBT, il est vital que tout le monde sache si vous êtes LGBT ou pas, et, si oui, quelles cases vous cochez et lesquelles vous ne cochez pas. Deux cas de figure :
Vous n'êtes pas LGBT, auquel cas il est important de faire savoir à tout le monde que vous avez produit des efforts surhumains pour écrire votre œuvre. Accessoirement, cela vous permet d'éviter que les gens pensent de vous que vous êtes un pédé.
Vous êtes LGBT, auquel cas, à partir du moment où vous déballez votre vie personnelle en mettant en scène des personnages qui sont également LGBT, les gens ont bien le droit d'avoir accès à votre intimité. C'est tout de même la moindre des choses.
(Ces deux cas de figures s'appliquent de manière différenciée suivant les différentes lettres que vous incluez. Par exemple, si vous êtes une lesbienne cis, et que vous incluez des lesbiennes ainsi que des personnages trans, vous devez préciser que vous êtes vous même lesbienne et accepter de répondre aux questions sur ce qui est autobiographique ou pas[1], mais vous pouvez dire que vous êtes cis pour a) ne pas risquer de passer pour une femme trans b) que le travail de documentation que vous avez dû réaliser pour apprendre des choses sur les personnes trans soit reconnu à sa juste valeur.)
9) Expliquez à quel point écrire des personnages LGBT est difficile
Dans tous les cas, il est nécessaire que vous expliquiez à quel point il était compliqué d'écrire une œuvre avec des personnages LGBT, et que cela relève d'une démarche volontariste d'inclusivité et que ce n'est certainement pas une idée qui vous serait passée par la tête naturellement. On ne voudrait pas laisser croire que pour écrire correctement une histoire avec des personnages LGBT, il suffirait d'avoir une bonne histoire, de mettre des personnages qui sont homos ou trans, et d'éviter d'être homophobe ou transphobe. Il est donc nécessaire d'expliquer à quel point ce procédé vous a demandé du travail surhumain, de la déconstruction, un travail de recherche dantesque, etc. Après tout, n'importe qui peut sans problème écrire des histoires avec des guerres, de la géopolitique, des explications plus ou moins scientifiques, mais comme, contrairement à ça, les personnes LGBT ne sont pas quelque chose qu'on croise tous les jours, inclure des personnages LGBT demande un véritable travail de recherche qui n'est pas donné à tout le monde.
Si vous aimez ce que j'écris et que vous voulez me soutenir financièrement, il y a une page Tipeee où vous pouvez vous abonner à partir d'1€ par mois. En contrepartie, vous aurez accès à mes prochains textes de fiction en avant-première. Mon projet en cours est une série inclusive, safe, déconstruite et pédagogique, qui inclut les identités suivantes :
une lesbienne masochiste ;
une pansexuelle top ;
une skinhead lesbienne (que je dois réécrire car elle est grosse et masculine et qu'on m'a fait remarquer que c'était un cliché lesbophobe) ;
une femme noire asexuelle et aromantique ;
un homme bisexuel qui a un trouble obsessionnel compulsif.
(Accessoirement, la plupart de ces personnages sont des vampires ou des loups-garous, mais c'est tout à fait accessoire à l'intrigue.)
Vos dons sont nécessaires car écrire sur des identités si particulières de manière inclusive et respectueuse me demande un effort approfondi de documentation et de déconstruction qui nécessite un travail long et difficile.
Note
[1] Et, soyons honnête, l'essentiel de votre histoire est autobiographique, non ? Quand les minorisé·e·s écrivent des histoires de minorisé·e·s, c'est forcément autobiographique, c'est bien connu.